De nombreuses coutumes qui remontent à l’Antiquité soulignent le retour du printemps, dans la foulée de l’équinoxe qui a lieu autour du 21 mars. Avant l’évangélisation, les cultes gréco-romains, superposés aux croyances celtiques en lien avec la résurrection de la nature, accueillaient le printemps de plusieurs façons.
Des symboles, tel l’œuf, qui représente la germination, ou encore le lièvre, la fécondité, y étaient attachés et sont toujours présents dans nos célébrations contemporaines.
Comme beaucoup de fêtes païennes, les religions s’en sont emparées. Pour les juifs, Pâque (sans le « s ») commémore le récit de la sortie d’Égypte du peuple hébreu et le passage à sec de la mer Rouge, guidé par une colonne de feu, le libérant de l’esclavage et donnant naissance aux enfants d’Israël.
Pour les chrétiens, Pâques souligne la résurrection de Jésus, le passage de la mort physique à la vie éternelle : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu ».
Pâques est donc une période de renouveau, du réveil de la vie, à la fois la fête de la liberté et celle d’une nouvelle naissance.
Le mot « Pâques » vient du latin populaire « pascua » (nourriture) et du verbe « pascere » (paître). Mais aussi du latin ecclésiastique « pascha », emprunté au grec « páskha », lui-même emprunté à l’hébreu « pessa’h » qui signifie « passer par-dessus ».
Tout passage implique la transformation d’un état à un autre. La nature nous en fournit des exemples éloquents. Rien n’est statique dans la nature, rien n’est figé, tout se transforme. Fleur, arbre, océan, paysage, il n’y a pas deux levers de soleil pareils. Ces éléments sont présents, mais pas dans une forme immuable.
Pourtant, une partie de nous-mêmes aspire à une certaine stabilité, pérennité. Nous avons besoin de repères, d’ancrages. Nous nous identifions à une famille, un pays, une maison, un groupe social, un sexe, une race. En même temps que nous cherchons aussi à contacter de nouvelles expériences. En général, nous aimons voyager à condition de savoir que nous pouvons rentrer à la maison.
Perdre ses repères – maison, pays, famille, travail – bouscule nos schémas intérieurs. D’autant plus lorsque cela survient de manière violente ou inattendue. Notre esprit mental n’a pas eu le temps de se préparer au changement, au passage vers une autre réalité. Une inondation, un incendie, un tremblement de terre, un accident, dans ces situations, le premier réflexe est celui de la survie. Le mental veut demeurer attaché à ce qu’il connaît et le sécurise. Il « n’y croit pas ». C’est la phase du déni.
Et puis, devant cette nouvelle réalité qu’il ne peut changer, il se révoltera. Pleurera sa perte, hurlera sa douleur, sa souffrance de se voir arraché à ce qu’il aimait, chérissait, connaissait.
L’immigrant quitte son pays pour une vie meilleure. Il épouse un élan vers l’avant, mais il laisse toujours derrière lui une famille, un milieu, des odeurs, une époque, un pan de sa vie.
Un divorce permet de retomber amoureux d’une autre personne, mais ne remplace jamais l’être quitté, les moments vécus ensemble, les rêves formés avec lui qui ne se sont pas réalisés.
Une maison ne s’oublie pas.
Un voyage ne s’oublie pas.
Nos enfants devenus adultes, même vieux, même décédés, restent nos enfants dans nos cœurs.
Notre jeunesse ne meurt pas. Nous devenons âgés, sages peut-être, mais au fond de nous, nous sommes toujours l’enfant de nos parents, de notre patrie.
Bref, la vie n’est qu’une succession de deuils. La vie est mouvance, transformation, passages, acceptation.
Et re-naissance.
Quand j’ai appris que Notre-Dame brûlait, « ma » cathédrale, comme j’aimais l’appeler, je n’y ai pas cru. Mais le pouvoir des images nous fait rapidement prendre conscience de la réalité des choses. Et cette réalité, inattendue, « impossible » même, était insoutenable. Je ne pouvais la voir en face. Le spectacle de la flèche enflammée qui s’écroulait m’arrachait le cœur.
Comment cela était-il possible ?
La tristesse a succédé à l’incrédulité et au déni.
Les émotions nous montrent nos attachements. J’ai pleuré, simplement. Parce que c’était plus fort que moi, parce que je choisissais de ne pas réprimer ce qui existait, ce qui était en moi. Chacun pleure ce qu’il a le sentiment d’avoir perdu. Chacun est seul juge de sa propre souffrance, modulée par sa conscience, sa compréhension des choses, ses attachements, ses rêves, se croyances, son vécu.
Dans mon cas, je prenais la mesure de mon lien non pas avec la religion (vous vous en doutez bien ), ni même avec une quelconque forme de spiritualité – car notre connexion au divin est intérieure et n’a besoin d’aucun temple pour l’abriter, sinon celui de notre propre conscience – mais de mon attachement à des souvenirs et à une certaine réalité.
Les monuments, les œuvres matérielles et immatérielles, les lieux remarquables en ce monde ont ce pouvoir de nous ancrer dans l’espace et dans le temps. Ils portent en eux une histoire, une époque, et aussi la beauté. Cela, dans un monde changeant, où tout bouge, va vite et se remplace – des conjoints aux portables (et on change même de sexe) – où peu de choses restent, rassurent et apaisent.
Notre-Dame morte, c’était pour moi comme si l’océan mourait (eh oui, je sais que les océans se meurent…). J’ai dû la visiter plus d’une dizaine de fois, ma cathédrale, et plus encore en livres. Il y a un an presque jour pour jour, j’y étais. Quand j’arrivais à Paris, c’est elle que j’allais voir en premier. Et en la quittant, je savais, au plus profond de moi, que ce n’était qu’un au revoir. Elle était là depuis des siècles, alors elle attendrait mon retour ! Je la ferais connaître à mes enfants, comme mon père l’avait fait avec moi, et à mes petits-enfants. Elle faisait partie des beautés du monde, alors tous, nous y avions accès. Comme le soleil, l’air, l’eau, la joie, l’amour, les rires.
Lorsque j’arrive au bord de l’océan, je vais le saluer. Je lui re-dis ma joie de le retrouver, combien je le chéris. Combien il m’a manqué. Combien je suis heureuse qu’il existe. Et lorsque je le quitte, c’est toujours un au revoir. Je sais que je le reverrai, il est là depuis des millénaires ! Je l’ai fait connaître à mes enfants, comme mon père l’avait fait avec moi, et j’y emmènerai mes petits-enfants. Il fait partie des beautés du monde, alors tous, nous y avons accès. Comme le soleil, l’air, l’eau, la joie, l’amour, les rires.
Notre-Dame morte, c’est comme si toutes les chansons que j’aime, comme si tous les livres que j’aime, pouvaient mourir. J’ai imaginé ma vie sans la possibilité d’entendre à nouveau Piano Man, La Bohème, Hallelujah, Le P’tit Bonheur, L’Escalier, sans pouvoir relire Jacques Poulin, Saint-Exupéry, Hemingway, Alexandre Dumas… Ces oeuvres pourraient, elles aussi, disparaître ?
J’ai imaginé ma vie sans Paris, Québec, Key West, Monterey, Porto, le Mont-Blanc, l’Alhambra, le chocolat, le pain, le café, les films d’Almodovar, de Lelouch, Les Visiteurs, sans Les Nymphéas, Guernica, la forêt, les lacs, bref, j’ai imaginé ma vie sans rien de ce que je connais, dont j’ai fait l’expérience et qui me semble éternel.
Nous apprenons très tôt que les êtres vivants meurent. Même ceux que nous aimons, même nous. C’est dans l’ordre des choses. Ce n’est pas de gaité de cœur que nous les voyons partir, mais une partie de nous sait que ce jour peut arriver, même si nous n’y sommes pas toujours vraiment préparés.
C’est différent en ce qui concerne les œuvres, qu’il s’agisse de créations naturelles ou du fait des humains. Nous ne sommes pas préparés à ce qu’elles meurent. Elles dépassent nos vies, elles nous survivent. Elles renferment les mémoires de celles et ceux qui ont vécu, aimé, souffert avant nous. Elles en sont les témoins.
Notre-Dame morte a ouvert une porte vers l’éventualité de changements de paradigmes : tout est possible. Même la destruction de notre environnement. De nos croyances en ce qui a trait au monde qui nous entoure.
Dans la souffrance, l’humain réagit. Il entre en émotions, sans réfléchir. Il veut faire cesser la douleur, gommer la source du mal – tiens, prends une part de gâteau, un verre de vin, ça t’aidera à te « consoler » : « Reconstruisons. Nous reconstruirons Notre-Dame d’ici cinq ans ».
Au sortir de ce deuil, après la stupeur, la peine, la colère, nous devons apprendre non pas à reconstruire, à chercher à rebâtir du neuf sur ce qui a été détruit, mais bien à renaître des cendres laissées par le feu. Comme le phénix.
C’est un passage obligé. La transformation à réaliser. L’alchimie à opérer.
Le passage sur la mer Rouge a donné naissance à un nouveau peuple, libéré de l’esclavage.
Jésus est mort et a ressuscité, mais pas dans sa forme physique originelle.
Notre-Dame a péri. Maintenant que nous avons réagi, comment allons agir ? Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette mort ? Quels choix pouvons-nous faire maintenant ? Les réponses à ces questions traceront notre avenir en tant qu’individus, et en tant que collectivité vivant ici, sur terre.