On entend souvent dire que les animaux vivent dans l’instant présent. Qu’en est-il, exactement ? Selon certains, la notion du temps telle que nous l’appréhendons ne serait pas valable pour eux. À partir de cette conception, ils vont conclure qu’un chien ne ferait pas la distinction entre être laissé seul durant dix minutes ou trois heures.
Il s’agit là d’une mécompréhension de la perception du temps chez les animaux. Effectivement, elle est un peu différente de celle des humains, non parce qu’ils n’ont pas la faculté de « suivre » le temps qui s’écoule, mais parce qu’elle n’est pas reliée, pour eux, à leur mental étant donné que les animaux en sont dépourvus.
Les humains anticipent, appréhendent, désirent, rejettent, vivent dans le passé et le futur et très peu dans le présent.
Les animaux n’échafaudent pas de scénarios fictifs, hors du moment présent, comme le font les humains pris dans leur mental, sous le joug de l’ego, dont l’une des stratégies est précisément de les maintenir hors de ce moment présent.
En conséquence, un chien perçoit la différence entre rester seul une courte ou une longue période, mais il n’est pas en train de se demander ce que son humain est en train de faire, pourquoi il a dû rester seul à la maison, à quel moment rentrera t-il, est-ce que ce moment de solitude se répétera dans le futur et si oui, sera-t-il plus long, plus court, comment fera t-il pour passer le temps, se divertir, doit-il prévoir une longue ou une courte sieste, etc. ?
Prenons un autre exemple, celui de la mort. Pour un animal, la mort ne comporte pas de connotation négative : il s’agit d'un passage, d’une étape sur son cheminement d’existence considéré dans son ensemble, qui peut compter plusieurs formes successives. Lorsqu’elle est sur le point de survenir, l’animal ne cherche pas à l’éviter, à la repousser, ni n’éprouve non plus de stress ou d’anxiété. Une précision, toutefois, en ce qui concerne les animaux vivants près des humains. Ils ont développé, par imprégnation, une grande sensibilité aux émotions que nous ressentons, ce qui les affecte sur plusieurs plans, modulant notamment leurs comportements. En ce sens, les animaux sont un peu comme des éponges. Mais ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas de leurs émotions, mais bien des nôtres.
Ainsi, lorsqu’un animal sent venir l’heure de son départ, dans la mesure où il ne subit pas d’influences émotionnelles humaines (ce qui est le cas des animaux sauvages, par exemple), il continue de vivre l’instant présent, acceptant sans résistance cette étape du chemin, sans s’accrocher au passé ni se projeter dans le futur.
La souffrance est créée par la résistance à ce qui est.
Pas de résistance, pas de souffrance.
La capacité naturelle des animaux à vivre dans l’instant présent n’entraîne pas pour autant l’effet de les déposséder de leurs mémoires ou d’effacer le souvenir des événements passés. Il s’agit là encore d’une erreur de compréhension que les humains font parfois. Plusieurs animaux âgés m’ont confié leurs souvenirs très précis de certains aliments goûtés au cours de leur vie, souvent même à une seule reprise, de ceux qu’ils ont hautement appréciés, des lieux, des odeurs, des sensations, des humains, des animaux qu’ils ont côtoyés, de l’amour reçu, partagé, comme du non-amour vécu, à tous niveaux, et de bien d’autres choses encore qu’ils ont expérimentées.
S’ils conservent en eux ces mémoires, ils n'occupent pas pour autant leurs journées à se les remémorer, à vouloir éviter qu’elles se reproduisent, à les regretter ou à les désirer ; ils sont pleinement ici et maintenant et pas dans l’expectative ou la récrimination, car ils n’ont pas un mental qui les distrait de ce qui se produit dans le présent.
Comprenez-vous la richesse de l’enseignement qu’ils nous offrent et la différence d’avec notre vécu d’humain ?
Eckhart Tolle explique ce phénomène de cette manière :
« Même les canards m'ont enseigné d'importantes leçons sur le plan spirituel. Le seul fait de les regarder est une méditation en soi. Ils flottent si paisiblement de ci, de là, bien avec eux-mêmes, en étant totalement dans l'instant présent, dignes et parfaits comme seules les créatures dépourvues de mental peuvent l'être.
À l'occasion, pourtant, deux canards auront une prise de bec, parfois pour aucune raison apparente ou parce que l'un d'eux a empiété sur le territoire de l'autre. L'altercation ne dure en général que quelques secondes, et ils se séparent, nagent dans des directions opposées et battent vigoureusement des ailes à quelques reprises. Puis ils reprennent leur paisible promenade sur l'eau comme s'il n'y avait jamais eu de bataille. »*
[…]
« Si le canard avait un mental humain, il entretiendrait la bataille dans son esprit en pensant, en se racontant des histoires. Voici quelle serait l'histoire de ce canard.
- Je n'en reviens pas de ce qu'il vient de faire ! Il s'est approché au point de me frôler ! Il pense que cet étang lui appartient ! Il n'a aucune considération pour mon espace privé. Je ne lui ferai plus jamais confiance. La prochaine fois, il essaiera autre chose pour m'embêter. Je suis sûr qu'il est déjà en train de manigancer quelque chose. Je ne me laisserai pas faire. Je vais lui donner une leçon qu'il n'oubliera pas de sitôt.
Et le mental poursuit sa ronde infernale d'histoires, y pensant et en parlant encore pendant des jours, des mois ou des années plus tard. En ce qui concerne le corps, la bataille n'est pas finie et l'énergie qu'il génère en réaction à toutes ces pensées sont des émotions, qui à leur tour génèrent davantage de pensées. Ceci devient la pensée émotionnelle de l'ego. Vous pouvez facilement vous imaginer à quel point la vie du canard serait problématique s'il avait un mental humain. C'est pourtant ainsi que la plupart des humains vivent en permanence. Aucune situation et événement ne sont jamais vraiment finis pour eux puisque le mental et le « moi et mon histoire » créé par le mental les perpétuent. »**
Si vous vivez avec un animal, observez-le ÊTRE, dans l’instant. Sans vouloir ni désirer quoi que ce soit d’autre que ce qui se produit maintenant. Bien sûr, vous l’avez entraîné à certains conditionnements par la répétition d’habitudes de vie, ce qui peut provoquer, par exemple, la salivation si vous ouvrez sa boîte de gâteries préférées 😊. Votre compagnon est donc dans une certaine attente, oui. Mais en dehors de ces séquences « apprises », généralement en lien avec son instinct, il n’est pas occupé à penser au moment futur où vous le nourrirez, le brosserez, irez jouer à la balle avec lui ou quitterez le domicile pour aller travailler. Il réagit en temps réel à un stimulus présent, sans le mentaliser.
En côtoyant un être dépourvu d’ego, vous avez l’opportunité d’apprendre de lui une chose précieuse : le détachement d’avec vos tourments émotionnels intérieurs qui ne cessent de vous projeter hors de l’instant présent.
Remerciez-le, chérissez-le et profitez l’un de l’autre, ici et maintenant ; le présent ne reviendra plus jamais, pourquoi le polluer avec un moment appartenant au passé ou à l’avenir – souvent totalement hypothétique ? Agir ainsi, c’est faire affront au cadeau de la vie plutôt que de l’accueillir, de la célébrer.
Suivez le guide qui vous montre la voie, ce chemin intérieur qui mène à la paix. Cet état d’être ne se trouve pas dans vos pensées, vos projections, dans la prison mentale. Ce guide est à vos côtés, en ce moment même : c’est votre partenaire à poils, à plumes, à écailles qui, par sa simple présence, vous réveille à une autre réalité… À vous d’en prendre conscience.
* Le pouvoir du moment présent, Ariane Éditions, 2000, p. 181.
** Nouvelle Terre, Ariane Éditions, 2005, pp. 114-115.